Papa
me serrait fort quand j'étais petite. Il rentrait à la
maison et me soulevait et me serrait si fort contre lui
que je n'arrivais pas à respirer. Ça me plaisait. C'était
si tangible.
Le matin quand je me
réveille, il fait jour. Je remonte le store, je reste
debout devant la fenêtre et je regarde dehors. Je vois
le fjord, les morceaux de glace qui flottent sur l'eau,
l'eau qui est brune. Il y a de la neige sur les montagnes
en face. Aux flancs des montagnes il y a des bandes plus
foncées où la neige a dégringolé, ça fait un dessin de
bandes successives.
Là où j'ai grandi, il
n'y avait pas de hautes montagnes. Mais il y faisait froid
en hiver, et en été, et sur les causses il n'y avait pas
d'arbres. De la sorte, c'était un peu le même paysage
qu'ici.
Une explosion a eu lieu
dans les mines en 1961, le cinq novembre. Il y avait une
dépression atmosphérique ce jour-là, on dit que le grisou
est sensible à la pression, à basse pression il devient
plus inflammable. En tout cas, il y a eu une explosion,
vingt-et-un morts. Papa était parmi eux.
Tu sais ce qui se passe
quand il y a un coup de grisou ? Tu n'exploses pas, au
contraire tu es comprimé, ton corps se vide d'oxygène.
L'air disparaît, tu n'arrives plus à respirer.
Je suis venue travailler
dans les mines. Je vis dans un foyer en préfabriqué. Toutes
les chambres sont pareilles, il y a une fenêtre, une table,
une armoire, un lit. Près de l'armoire il y a un fusil
et une canne à pêche. Je m'habille et je sors dans le
long couloir. Toutes les bottes sont alignées sur une
étagère près de la porte d'entrée. Je trouve les miennes
et je les enfile.
Après l'explosion, le
gouvernement a dû démissionner. On avait eu le même premier
ministre depuis la guerre, pendant toute la période de
reconstruction. Il n'y avait que lui. Le parti travailliste.
Les maisons neuves, les routes qui brillaient. C'était
comme ça.
Et puis ce n'était plus
comme ça, tout d'un coup c'était différent. Ils auraient
dû renforcer la sécurité dans les mines, il y avait déjà
eu des accidents, moins importants. Ils le savaient. Au
gouvernement, au ministère. Papa avait vingt-neuf ans.
Je sors. Tout est calme,
il fait plein jour. Les préfabriqués ont plusieurs étages.
Je les regarde de l'extérieur. Dans les fenêtres je vois
le reflet des montagnes en face, la neige blanche qui
les recouvre, les bandes marron. Je vais chercher ma combinaison
et mon casque.
...
Traduit du norvégien par Terje Sinding |